Hélène Sarrazin

Hélène Sarrazin (née en 1954) vit au Canada, au Québec. Elle a obtenu une maîtrise en arts visuels et un doctorat en études et pratiques des arts à l’Université du Québec. Elle pratique l'art de l'installation et de la sculpture depuis le début des années 1980. Sa pratique récente est faite principalement d'œuvres sur papier se situant à la limite du dessin et de la peinture et ayant pour principale caractéristique la répétition d'un même motif jusqu'à saturation de la feuille. Son travail lui a valu de nombreuses bourses et résidences et a été montré dans des exposition au Canada et dans le monde.

Ondes / Wellen (Bilder von Petra Schröder)

Aufenthalt

15.01. - 24.03.2025

Wellen / Ondes

Hélène Sarrazin, Onde / Ondes

Hélène Sarrazin vit au Canada, au Québec, où elle a obtenu une maîtrise en arts visuels et un doctorat en études et pratiques des arts à l’Université du Québec. Depuis le début des années 1980, elle s’occupe d'installation et de sculpture. Récemment, elle crée principalement des œuvres sur papier qui se situent à la limite du dessin et de la peinture. Son travail lui a valu de nombreuses bourses et résidences et a été montré dans des exposition au Canada et dans le monde.

Quand l’artiste est arrivée à la Casa Atelier, elle était presque dépassée par les grands espaces dépouillés de la maison, et par la beauté du paysage autour d’elle, par les collines devant les fenêtres et balcons. Elle a dû mettre le bureau contre la paroi pour pouvoir se concentrer sur son dessin, pour ne pas toujours lever les yeux et observer ce qui se passait dehors. L’exercice de la concentration est très important pour l’artiste. Chaque matin, elle trace des lignes horizontales dans son carnet et elle fait ses exercices de tai chi, en haut, dans l’atelier avec le grand balcon entouré de glycines. 

Son premier dessin avait un cadre blanc autour, comme elle avait l’habitude d’en faire. Puis, tout à coup, dans cet entourage particulier, elle a eu l’idée de renoncer au cadre et d’étaler son dessin sur l’ensemble de la surface du papier. Elle raconte : «Lorsque j’ai commencé à faire de l’art, il y a quarante ans, c’était la grande période des installations. Qu’est qu’on faisait des choses compliquées, avec de la musique, du matériau, des formes… ! Depuis, je ne fais que réduire, simplifier, épurer … j’en suis arrivé à ne plus utiliser de couleur, je ne travaille plus qu’avec le noir», et elle montre l’épais crayon de peinture à huile qu’elle a amené à Bedigliora. Dans sa pratique récente, elle s’était beaucoup occupée de surfaces, elle dessinait des surfaces vibrantes, des fourrures, des pierres… Dernièrement, elle s’est demandé comment faire entrer le mouvement dans ses dessins. Mais, dit-elle, «il a fallu que j’arrive à Bedigliora pour que ce paysage entre en moi. Car comment ne pas faire de l’ondulation, entourée de ces collines ? Le paysage est passé à travers moi, même si je ne le représente pas, les ondes se sont propagées sur ma feuille.»

L’artiste applique le crayon noir sur la feuille et enlève ensuite la couleur en la grattant. Elle trace une première ligne ondulée et essaie de la suivre avec la deuxième, la troisième ligne. Chaque ligne suit minutieusement la précédente, mais il y aura forcément des petits égards, qui seront ensuite repris dans la ligne suivante. C’est ainsi que des crêtes se profilent dans le dessin, des plis ou des arrêtes se forment. Parfois, l’artiste décide de redresser une ligne devenue trop marquante, elle laisse alors un interstice noir, comme une île, une respiration, un arrêt dans le tableau mouvementé. En collant ensemble trois feuilles sans laisser de cadre, elle crée un effet assez monumental à force de répétition et d’écart. La répétition et la variation – c’est ce qui constitue notre vie, lui donne un rythme et une signification. 

Hélène Sarrazin s’intéresse à la physique quantique, elle cite le physicien Carlo Rovelli : les particules élémentaires qui composent notre monde matériel ne sont qu’une poignée d’atomes, de photons, d’électrons. Cette idée la marque, elle-même en arrive à des composantes minimales : une feuille, un crayon noir. Elle ne travaille pas par ajout, mais par effacement : à l’aide d’un bâtonnet ouaté, elle enlève la couleur ou avec un bâtonnet pointu, elle la gratte. Ainsi, par son long travail patient, méditatif, concentré, l’artiste crée elle aussi un monde entier avec le minimum de matière, en équilibriste sur un fil précaire de répétition et de variation.

Les lignes d’abord ininterrompues et élancées se découpent de plus en plus, en tracés de plus en plus petits. Il s’agit du mouvement naturel de l’entropie : le chaos augmente, les corps peu à peu se désagrègent. 

Au deuxième étage, Hélène Sarazin a profité du grand espace pour une expérience qu’elle n’a encore jamais faite, une espèce de leporello gigantesque. En suivant le mouvement des petites formes ovales aux contours plus sombres, qui se réunissent en des amples jets, se séparent et se retrouvent, montent et descendent, on pense aux essaims d’étourneaux qui s’élancent dans le ciel, qui se réunissent en formations mystérieuses, sans jamais se heurter les uns contre les autres. Hélène Sarrazin s’intéresse à ce phénomène si joliment appelé la «murmuration», auquel chaque oiseau participe en individu, mais en créant quelque chose qui le dépasse. N’est-ce pas aussi le cas de l’artiste ? Hélène Sarrazin voit dans sa pratique de l’art une forme d’alchimie, d’œuvre au noir, et cite le philosophe Mircea Eliade :

 

L’alchimiste reprend et parfait l’œuvre de la nature, 

en même temps qu’il travaille à se « faire » lui-même.

 

 

 

Ruth Gantert, Bedigliora, 15.03.2025